Leo Bioret / Ma quête au pied du mur, CHLOÉ JARRY
Ma quête au pied du mur
Entretien, 2017
« La voilà ma quête, va-t-elle pouvoir se réaliser ? » C’est la question qui a mené cet entretien avec l’artiste Chloé Jarry pendant son temps de résidence à l’H du siège. Invitée pour l’exposition d’été par le collectif BLAST, l’artiste saisit l’occasion de présenter ses récentes réalisations  de dessins et de céramiques.
Léo Bioret : Les deux dernières années ont été riches d’activités, de production, d’expositions et de résidences pour toi, parlons de cette expérience intense. Quel en est l’essentiel ?
Chloé Jarry : Travailler ! J’adore ça ! Je m’inspire du quotidien, alors mon univers n’est jamais très loin de mon travail. C’est la meilleure façon de faire bouger ma production. J’ai eu l’occasion de produire beaucoup d’éléments ces temps–ci, je vais pouvoir les emmener à Angers pour réfléchir mon exposition. Finalement le plus intense ses derniers temps c’est de ne pas être chez soi !
L.B : Tu es jusqu’au 24 juin en résidence à l’H du siège à Valenciennes. Travailles-tu sur de nouveaux motifs ? Quel sens et quelle place, plastique et esthétique leurs donnes-tu ?
C.J : J’ai un rapport très contextuel à la résidence. Je m’inspire des espaces intérieurs qui m’entoure. Des motifs de paysages extérieurs sont venus peuplés mon travail de sculpture lors de ma précédente résidence à Molly Sabata à Sablons où ma fenêtre donnait sur le Rhône. Valenciennes est aujourd’hui l’occasion pour moi de travailler sur papier et de tenter de nouveaux motifs de sols et de briques. En arrivant dans le Nord, le motif de la brique m’a tout de suite sauté aux yeux. Je me suis intéressée à sa diversité de couleur, sa composition et son utilisation. La brique est très belle ! Je n’invente pas ces motifs et ces formes. Je les récolte au fil du temps, de mes recherches, de mes dessins et lors de la conception d’un projet. La question du motif et de la couleur est récurrente dans mon travail. Je traverse une approche picturale pour arriver à la sculpture.
L.B : Quelles ont été les étapes déterminantes dans ta production artistique qui t’ont mené à ta production actuelle ?
C.J : Les moments fondateurs de mon travail sont souvent passés par les voyages et les déplacements. Les résidences sont des moments très immersifs et privilégiés qui ont beaucoup fait évoluer ma pratique. Lors de mes études aux Beaux – Arts de Nantes, j’ai participé à un échange universitaire à l’université de Québec. C’est là-bas que j’ai appris à faire des moules en plâtre et des tirages en céramique. La distance géographique, être loin de chez moi et de mon école, m’a permis de me lâcher et de prendre du plaisir dans le « faire » sans pour autant conceptualiser cette démarche au départ. Mes voyages en Asie ont été aussi très importants au niveau technique par la découverte et l’intérêt pour l’artisanat.
L.B : Comment s’articulera l’exposition à Angers, que découvrirons-nous dans la Cabine ? C.J : J’aimerais d’abord présenter "Brique par brique", 2017. De la fenêtre de mon atelier, je vois un grand mur, que j’ai pris en photo. J’ai retro-projeté les motifs des briques pour réaliser ce dessin – sculpture sur un rouleau de papier de dix mètres de long, qui sera disposé sur pieds, le long du mur. Le support est en papier mais c’est une installation. C’est la première fois que je tente des dessins grands formats, qui seront accrochés au ras des plinthes pour un effet immersif.
L’espace de la Cabine est intéressant par la disposition des cimaises rythmées par de grandes
ouvertures lumineuses. Peu de mur pour une volonté de montrer beaucoup de supports papiers,
ça me stimule pour travailler l’espace. J’exposerai également deux paravents réalisés l’année
dernière et cette année. Je suis heureuse de pouvoir montrer mes dessins, qui sont une pratique
un peu « confidentielle ». C’est un peu stressant aussi parce que je retourne dans ma région,
les Pays de la Loire. Je me mets « en danger » à Angers !
L.B : L’expérience est là ! Tu parles de pratique confidentielle, a-t-on le droit d’en savoir plus ?
C.J : Ce sont des dessins que je réalise lors de mes recherches d’inspirations, de temps de pause ou d’ennui. Je dessine au Rotring, un outil d’architecte très précis qui me permet de travailler la finesse du trait. Je ne dessine qu’une partie de ce qui m’entoure, des observations de vues intérieures d’habitations. Parfois certaines lignes représentatives d’un espace semblent sortir d’une abstraction, un angle, une trame, une arête, une masse ou plus simplement un contour. Ce que j’ai autour de moi, m’interpelle et je prends le temps de le dessiner. Les dessins grand format de l’exposition sont très différents de ma pratique habituelle du dessin.
L.B : Les fonctions quotidiennes intérieures inspirent ton travail de la céramique. Qu’en est-il de la fonction des objets usuels que tu mimes : canalisations, ampoules, gaines de câblages, radiateur ?
C.J : Dans l’espace domestique français, nous retrouvons ces éléments ayant une utilité spécifique. Nous utilisons énormément d’électricité, d’eau et de consommables, ce n’est pas le cas partout dans le monde. Ces objets nous les oublions la plupart du temps en essayant de faire en sorte qu’ils soient les plus discrets possibles en les cachant dans les murs, derrière des meubles ou dans les fondations. Nous nous rendons compte de leur existence seulement lorsqu’ils ne fonctionnent plus. Tout ce mode de vie m’intéresse mais je trouve aussi que ces objets ont une certaine beauté. Ils sont passe-partout, discrets, conçus et réfléchis pour une fonction spécifique, ils viennent ponctuer l’espace et j’y suis sensible. Dans l’essai, L’éloge de l’ombre, Junichiro Tanizaki parle du quotidien, de l’artisanat et de la fascination de dissimuler certaines choses par le clair – obscur dans les maisons et l’art japonais. Un concept esthétique et spirituel appelé «Wabi-Sabi. Le « sabi » est le modeste, l’altération du temps, la poussière ou toutes ces notions acquièrent une certaine beauté.
L.B : Quelle est ta relation avec la céramique ?
C.J : Je ne souhaite pas être dans la maîtrise du résultat. J’acquiers de plus en plus de savoir-faire en céramique pour tenter des réalisations. Les choses me dépassent parfois. Ce que j’aime avec la céramique c’est que c’est un matériau vivant ! Les torsions peuvent être non contrôlées et il y a des accidents. Et c’est à ce moment-là que ça m’intéresse. Cela permet une traduction matérielle sur des motifs et des objets que l’on rencontre dans notre quotidien. Si je voulais une reproduction parfaite de ces objets je n’utiliserais pas la céramique. Je ne tends pas vers la reproduction. Je souhaite qu’apparaisse les traces du processus de fabrication.
L.B : Le doute persiste quant à la véracité des objets-sculpture et de leur fonction. Joues-tu sur cette ambiguïté ? Tu qualifies ton travail de sculptural, est-ce à ce moment-là que tu te détaches de l’objet pour arriver à la forme en tant que telle ?
C.J : Je ne pense pas redonner ses lettres de noblesse à l’objet oublié car je lui accorde déjà une importance esthétique. J’offre simplement un double, une représentation mais pas un trompe-l’œil. Je n’ai pas le désir de tromper qui que ce soit. Je mets à distance ces formes pour que l’on puisse y porter un autre regard. On peut apprécier cet aspect de mimésis, mais je pense que ça va au-delà. Je ne parle pas non plus de simulacre, de faux-semblant ni de double. Dans mon travail, je replace systématiquement les céramiques que je crée à la place des objets qui ont donnés ces formes. Je suis attachée à cet effet de calque.
L.B : Ma quête au pied du mur, c’est le titre que tu proposes pour cette exposition à Angers. Quelle est cette quête ?
C.J : Quêter c’est pour moi une sorte de recherche, mais y a-t-il vraiment une finalité ? Ce titre dégage quelque chose de positif. Une quête est parfois mystique et j’ai ajouté « au pied du mur » ; un élément très prosaïque, voir un peu négatif. Ce dialogue d’opposition entre les deux termes du titre m’intéresse beaucoup. Une quête c’est aussi une collecte, une récolte, un clin d’œil à mon travail.
Entretien réalisé le 7 juin 2017 par Léo Bioret avec l’artiste Chloé Jarry en duplex de son atelier à Valenciennes.
Léo Bioret

crédits: Chloé Jarry, "Anti-paraléidolie, Chaîner", 2017, Résidence Moly Sabata
"Ma quête au pied du mur", Collectif BLAST, Angers / Résidence L'H du Siège
"Bullecraft verre", "Bullecraft porcelaine", 2017, Résidence L'H du Siège Atelier, musée du verre, Trélon/ ESAD, Valenciennes/ Ecole d'art plastique, Denain
"Brique par brique", 2017, Ma quête au pied du mur, Collectif BLAST, Angers / Résidence L'H du Siège