Leo Bioret / En filigrane, OLIVEOLIVIER
En filigrane
Entretien, 2015
Cet entretien a été réalisé de deux manières différentes. Un premier temps d’échange par mails, soulève des questions générales sur la place de l’écriture et de l’apparition dans la pratique d’OliveOlivier. Dans une seconde partie, l’artiste m’a reçu chez lui le 19 mars 2015. La retranscription de cette discussion marque les enjeux linguistiques et la diffusion orale du travail de l’artiste. Rassembler ces deux formes de dialogues est également l’occasion pour l’artiste de nous faire découvrir son univers artistique et ses problématiques actuelles. Les propositions musicales apparaissent à la manière de courtes introductions à l’écriture des réponses et sont inspirées des écoutes de l’artiste sur le moment. Cette rémanence musicale permet d’accéder à un deuxième degré de lecture de l’entretien.
Léo BIORET : Tu utilises un pseudonyme. Pourquoi as-tu fais ce choix d’oliveolivier comme « nom d’artiste » ? Comment s’est opérée et s’opère encore cette dissociation entre l’artiste, créateur et initiateur d’écrits et la personne derrière, l’être penseur qui expérimente la vie ?
ROBERT JOHNSON, THE COMPLETE RECORDINGS, COLUMBIA, 1996
OLIVEOLIVIER : J’ai imaginé ce nom d’emprunt il y a une douzaine d’années, lorsque j’ai commencé à créer dans le domaine des arts visuels. Jouer sur la redondance de mon prénom me permettait de signifier que ma vie et mon art s’interpénétraient au point de ne former plus qu’un. À l’époque, je réalisais entre autre des performances car j’appréhendais ce médium comme une possibilité de confusion des genres, d’un jeu sur les frontières labiles entre vie et art. Depuis quelques années, j’ai tendance à quelque peu dissocier les domaines privé et professionnel. Mon vécu imprègne toujours mon travail, et réciproquement, mais de façon moins flagrante ; c’est plus de l’ordre d’une impression « en creux ». Toutefois, l’importance que j’attache à la langue, et plus particulièrement à l’écrit, est bien une constante qui se retrouve à la fois dans ma pratique artistique et dans ma vie quotidienne.
Léo BIORET : Comment l’écriture a-t-elle porté ton travail plastique ? À quel moment as-tu fais cette rencontre avec la trace écrite, puis avec la trace comme témoin du temps ?
ERIK SATIE, OEUVRES POUR PIANO, JEAN-NOËL BARBIER, ACCORD, 2000
OLIVEOLIVIER : C’est un peu un rendez-vous, à rebours, ma rencontre avec l’écrit et la trace. Je ne suis pas du tout ce qu’on pourrait appeler un « lecteur », et encore moins quelqu’un qui a une pratique régulière de l’écriture. Mais, paradoxalement, le lien que j’entretiens avec le texte est relativement fort ; il m’a juste fallu beaucoup de temps pour m’en apercevoir. De façon assez improbable, c’est grâce à ce que j’ai pu écrire en certaines occasions que je me suis créé des opportunités inattendues. Il y a quelques années j’avais par exemple décroché un contrat d’assistant disquaire en écrivant une critique musicale. J’avais également accepté de rédiger de succinctes biographies d’amis et relations (musiciens, photographes, vidéastes) qui me l’avaient demandé, etc. Mais ce n’est qu’assez récemment, en rencontrant un institutionnel du monde de l’art, que j’ai pris conscience grâce à lui à quel point l’écriture était prégnante dans mon travail de plasticien. Il m’a tendu un miroir sur ma création, un point de vue à la fois professionnel et subjectif, mais qui m’a permis de m’apercevoir de l’évidence de la chose. Au préalable, je m’étais également rendu compte – là encore il m’a fallu l’aide de quelqu’un, en l’occurrence un ami proche – que toutes mes recherches d’alors avaient déjà pour axiome la notion de trace(s).
Léo BIORET : Tu intègres également l’écriture dans ta pratique, en tant que langage et mode d’expression par la citation. As-tu par celle-ci une volonté temporelle dans ton travail en questionnant l’éphémère, l’apparition ou encore l’action ?
ARTISTES DIVERS, THE SOUL OF A MAN (MUSIC FROM THE MOTION PICTURE), COLUMBIA, 2003
OLIVEOLIVIER : Les citations, ces béquilles de la pensée, étaient au départ à la fois une déformation professionnelle et un outil qui m’a permis de faire la transition entre mon ancienne activité de médiateur culturel et celle de plasticien. Au fil du temps, je m’en suis détaché pour n’y avoir recours qu’avec beaucoup plus de parcimonie et de façon elliptique. Aujourd’hui je fais appelle aussi bien à ces dernières (quand on touche le vide, on heurte le plein ou Less is more) qu’à des expressions idiomatiques (décrocher la lune, Je m’en tamponne le coquillard), ou des concepts (dieu est mort, Ego). Au final, de façon plus générale et englobante, le langage constitue pour moi une matière première dans laquelle je pioche pour mettre en scène un répertoire de formes. Jusqu’à maintenant, je me suis essentiellement concentré sur l’écrit, ce qui me permet d’allier les deux notions inhérentes à mes recherches plastiques, à savoir les traces et le langage. Je crée donc des empreintes visuelles, parfois à la limite de la perception, où le regardeur a un rôle prépondérant : elles lui demandent une participation active. Dans cette optique, la temporalité de la réception de mes réalisations peut être une question centrale (Cache ta vie ou Jean-Christophe). Le public peut même être l’élément sans lequel l’apparition de l’oeuvre ne peut advenir ; je pense ici à Ceci est un palimpseste. En fonction des scénarios que je veux mettre en place, je crée des dispositifs à partir du média qui me semble le plus pertinent pour cela et, tel un mouvement de balancier, mon travail a tendance à osciller entre deux pôles : apparition/disparition, pérennité/éphémère, etc.
Léo BIORET : N’ayant pas eu l’occasion de parler avec toi de ton intervention au Blockhaus en novembre dernier avec la présentation de la pièce Less is more, peut-on revenir sur ce travail ?
ARTISTES DIVERS, DEEP RIVER OF SONG: ALABAMA (THE ALAN LOMAX COLLECTION), ROUNDER, 2001
OLIVEOLIVIER : Pour la première présentation publique de Less is more, je me suis risqué à un parti pris qui, selon moi, tenait plus de la gageure que du parcours balisé : n’exposer qu’une seule oeuvre, qui ne dure qu’une minute et quarante-deux secondes, et qui est relativement radicale : minimale et évanescente. C’était également un défi technique : au moindre dysfonctionnement, l’oeuvre pouvait ne pas s’activer ce qui avait pour conséquence immédiate que le public ne voyait, littéralement, rien ; il restait plongé dans le noir le plus complet. C’est pour cette raison que tout (scénographie, timing, etc.) avait été réglé comme du papier à musique. Les diapositives dont je me sers dans cette pièce ont été confectionnées pour l’occasion et avec une précision au centième de millimètre. Pour les réaliser, j’ai travaillé avec Serge Koutchinsky, photographe et spécialiste des projections diapo, grâce auquel cette pièce a ainsi gagné en intensité. Je me suis également adjoint les services de différentes personnes, dont ceux d’un vidéaste, Mac Néma, un ami avec lequel je collabore sur différents projets depuis un temps certain. Cette oeuvre est donc tout autant l’histoire de rencontres humaines et artistiques que d’un long et patient processus de création : il m’a fallu deux ans de recherches à tâtons, d’expérimentations, pour arriver à la forme qui a été présentée en novembre dernier. En somme, je pense que Less is more représente pour moi une synthèse partielle de mes préoccupations plastiques : c’est un travail que je tenais absolument à présenter au Blockhaus DY10 de Nantes, car ce dernier me permettait de créer un tout cohérent, une mise en abyme contextuelle où je pouvais utiliser des notions qui me tiennent à coeur. In situ et tautologique, cette pièce est une oeuvre minimaliste, qui parle d’architecture minimaliste dans une scénographie minimaliste. Cet espace d’exposition, on ne peut plus brut de décoffrage, était par conséquent des plus indiqués. Mais, en résumé, c’est également un travail sur le point de vue, sur l’éphémère, une installation sensorielle qui cherche à manifester l’immatériel, à rendre visible l’invisible sous une forme qui se situe entre la performance, le vernissage et l’exposition.
Léo BIORET : Te considères-tu comme un narrateur de la trace ? Les explications et l’histoire de chacune de tes oeuvres ont une place singulière dans tes processus de création ? C’est important pour toi de faire connaître et montrer cet aspect très proche de la médiation comme une pratique artistique ?
JOHN HAMMOND JR, JOHN HAMMOND, VANGUARD, 1964
OLIVEOLIVIER : Il y a dix ans, je t’aurais cité F. Schlegel pour qui « chaque artiste est médiateur pour tous les autres ». Aujourd’hui, je te répondrai que si j’ai été médiateur culturel, cela me constitue, indéniablement, mais ne me définit pas, encore moins aujourd’hui. J’ai également été mouleur en béton, professeur et formateur en histoire de l’art, agent de nettoyage, assistant disquaire, organisateur d’événements culturels, etc. Je suis surtout une éponge et, tel un mille-feuille, je suis également la somme de tout cela et d’autres choses à venir. En tant que tout jeune plasticien, je n’ai pas d’autre choix que d’avoir plusieurs casquettes, par exemple d’être successivement un peu scénographe, graphiste, médiateur, etc. de mon propre travail. De la production à la communication en passant par la diffusion, je gère différentes activités. Même si parfois cela peut être un peu chronophage et « schizophrénique », je considère plutôt cet état de choses comme une forme de luxe : je peux contrôler et maîtriser comme je l’entends cette chaîne d’opérations incluses dans le processus créatif. C’est ce que j’avais particulièrement apprécié il y a près de deux ans à l’occasion de mon exposition Palimpseste/trace(s) à l’Atelier Alain Le Bras, toujours ici à Nantes. Je m’étais entouré entre autre d’un muséographe, d’une infographiste, d’un éditeur et d’une médiatrice. Parallèlement à cette manifestation, j’avais réalisé et publié avec l’aide de ces personnes un catalogue qui pouvait constituer une trace de cette présentation publique de mes travaux. Pensé plus comme un livre d’artiste que comme une simple compilation de mes oeuvres, j’ai essayé de faire en sorte qu’il soit un objet qui parle, de par son contenu et sa forme, de mes recherches plastiques. J’ai cherché à créer quelque chose qui puisse générer du sens.
Léo BIORET : Merci pour l’exemplaire de l’Empreinte - relevé sonore 29/100 à la fin de ton catalogue, je ne l’ai découvert qu’hier en me replongeant dedans ! Peux-tu m’en dire plus sur ce procédé ?
JOHANN SEBASTIAN BACH, THE COMPLETE GOLDBERG VARIATIONS, GLENN GOULD, SONY, 2022
OLIVEOLIVIER : C’est dans le but de réaliser un tout cohérent que j’ai imaginé incorporer une oeuvre à ce catalogue. Je tenais également à « remercier » concrètement ses souscripteurs, sans lesquels il n’aurait pas pu exister. Je souhaitais concevoir une création qui soit à la fois un multiple papier de petit format pour l’inclure dans l’ouvrage et une pièce spécifique pour celui-ci tout en ayant un lien fort, évident, avec l’exposition à laquelle il se réfère et avec mon travail de façon plus générale. J’ai donc produit une Empreinte - relevé sonore de ce lieu d’exposition. J’ai enregistré avec un micro d’ambiance tous les sons émis dans cet espace au cours du montage, sans aucune distinction entre eux, et ce pendant cent minutes continues. A l’aide d’un logiciel de traitement du son, j’ai ensuite obtenu une version visuelle (un graphique stéréo) de cette matière brute. Je l’ai enfin sectionnée en cent parties égales d’une minute que j’ai imprimées, numérotées et signées. Elles sont par conséquent toutes différentes, uniques (d’où la mention « parmi 100 possibles »), bien qu’elles se présentent sous une forme de multiple.
Léo BIORET : Il s’avère que la musique tient une place très importante dans ta vie. Tu as d’ailleurs souhaité mettre en exergue de chacune de tes réponses à cet entretien un disque pioché dans ta collection. Pourquoi ce choix ?
MILES DAVIS, KIND OF BLUE, COLUMBIA, 1997
OLIVEOLIVIER : J’ai passé mon adolescence à écouter de manière quasi obsessionnelle du delta et country blues, tout en essayant d’en jouer. A cette époque, j’appréhendais la musique comme un exutoire, une catharsis qui m’a aidé à me construire. A la fin de mon cursus universitaire, j’ai réalisé un mémoire de fin d’études sur Robert Johnson, ce « Faust du blues », génie mort à vingt-sept ans et n’ayant enregistré que vingt neuf chansons. Peu après, j’ai effectué une performance qui avait pour but de mettre à nu et à mort un personnage de blues que je m’étais créé. Au moment même où mourrait symboliquement ce musicien que j’avais incarné pendant plusieurs années, oliveolivier naissait publiquement sur scène. J’ai arrêté depuis toute forme de pratique musicale, et ce sans une once de regret, d’amertume ou de nostalgie ; je me suis simplement rendu compte que j’avais plus d’histoires à raconter dans le domaine des arts visuels que dans celui de la musique. Néanmoins, je garde toujours un lien très fort avec cet art : j’en écoute toujours beaucoup, je collectionne les disques et je fréquente régulièrement les salles de concert. J’envisage ainsi cette forme d’expression artistique comme une façon d’accompagner et de rythmer mon quotidien. Très paradoxalement, si dans mon travail j’ai souvent recours à la citation (notamment à l’histoire de l’art ou à la philosophie), je ne me suis pas encore référé au monde de la musique, exception faite de l’Empreinte - relevé sonore. Mais je pense que cela viendra, naturellement ; c’est juste une question de rendez-vous.
Léo BIORET : Il existe une sorte d’humour qui touche de manière très particulière certaines de tes oeuvres. Est-ce une façon de dédramatiser ou de toucher les gens ? C’est aussi un moyen de communication pour toi ?
JOHN CAGE, THE SEASONS, AMERICAN COMPOSERS ORCHESTRA & MARGARET LENG TAN, ECM, 2000
OLIVEOLIVIER : Ce qui m’intéresse dans l’humour c’est le décalage qu’il peut induire, ce « pas de côté » qui permet d’amener le public dans une autre dimension, non pas uniquement spatiale mais également mentale. Dans Je veux percer par exemple, il n’y a pas qu’une portée programmatique, une intention exprimée de façon très frontale et sans ambiguïté. Il y a tout autant une visée humoristique qui invite à relativiser ce qui pourrait n’être perçu que comme une simple ambition affichée. Même lorsqu’il est pris au premier degré, ce qui est le cas ici, l’humour ouvre vers de nouvelles possibilités de lecture. C’est dans ce même esprit que décrocher la lune a été conçu. En créant là aussi une mise en forme plastique la plus littérale possible d’une expression idiomatique, je me joue de celle-ci pour l’amener vers l’auto-dérision et le contre-sens. Du contre-sens au contre-emploi, il peut n’y avoir qu’un pas... que franchit par exemple allègrement mon emploi du temps. Alors que cette création s’offre au regardeur à nouveau comme un canular, elle a avant tout été pensée pour être faussement innocente car ironique. L’humour est donc pour moi une sorte de pied de nez, un outil, qui autorise une mise à distance, vis-à-vis de l’art mais également de ma propre production ainsi que de mon « statut » de plasticien.
Léo BIORET : En projetant ton travail dans le futur et en imaginant ta position dans le monde de l’art, quels desseins apparaissent ?
JOHN COLTRANE, A LOVE SUPREME (DELUXE EDITION), IMPULSE, 2002
OLIVEOLIVIER : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, j’ai pris assez récemment la décision de garder une activité salariée à côté de mon travail artistique afin de pouvoir mieux me consacrer à celui-ci : cette volonté me permet d’être plus libre, c’est-à-dire moins en prise avec des contraintes financières et temporelles inévitables, d’être également moins dépendant du marché, des institutions et de la critique d’art. Cependant, cette position actuelle que j’adopte vis-à-vis du monde de l’art n’est pas irrévocable, mais bien au contraire mouvante : si l’opportunité de vivre intégralement de mon art devait se présenter, peut-être infléchirais-je ma pensée. Je ne grave rien dans le marbre et je me laisse ainsi la possibilité d’emprunter différentes voies ; je m’octroie de l’espace dans mes choix concernant mon activité de plasticien.
Léo BIORET : Parlons de ton rapport au champ de l’édition en général. Tu as déjà réalisé un catalogue à l’occasion de ton exposition, Palimpseste/trace(s) à l’atelier Alain Le Bras en 2013. objet de mémoire, mais aussi espace de l’écrit, comment s’articule l’objet du livre dans ton travail ?
OLIVEOLIVIER : Le catalogue d’exposition est un outil qui me permet d’avoir une trace écrite de ce qui a été réalisé et présenté au public. Ce projet à l’Atelier Alain Le Bras était ma première exposition personnelle, sorte de mini rétrospective de dix années de création. Je voulais à la fois avoir cette possibilité d’une trace pérenne pour moi et pour les personnes qui s’intéressent à mon travail, mais aussi d’accompagner l’exposition avec cet objet. J’ai été médiateur ; je ne le suis plus. Néanmoins j’aime bien, en tant qu’acteur et spectateur dans le monde de l’art, qu’il y ait des « guide-ânes » dans les expositions : que cela passe par une pratique de l’oralité via un médiateur, d’une feuille de salle ou d’un catalogue qui permet de se rappeler de ce que l’on a vu et de pouvoir y revenir.
Léo BIORET : As-tu de nouveaux projets d’édition ?
OLIVEOLIVIER : Curieusement, l’édition est un médium que je n’ai pas encore investi (le catalogue mis à part). Même si c’est de façon assez tardive, il devient pour moi de plus en plus une évidence : les traces écrites qui composent un livre utilisent la même matière première que mon travail, à savoir le langage. J’ai un nouveau projet artistique qui sera une édition, un livre d’artiste tiré à très peu d’exemplaires. Cette œuvre autonome mettra en scène le langage pour lui-même.
Léo BIORET : Ce projet sera-t-il pour le coup, une œuvre menée comme une production plastique ?
OLIVEOLIVIER : oui complètement.
Léo BIORET : Tu parlais du catalogue d’exposition comme trace de l’évènement, mais est-ce aussi pour toi un espace, une extension de l’exposition, où se joue aussi d’autres formes d’œuvres et de réflexions ? Est-ce le moyen de traiter tes pièces d’une autre manière ?
OLIVEOLIVIER : oui et non. Je traite effectivement d’une autre façon ce qui était à l’œuvre dans l’espace d’exposition, ne serait ce que par la mise en page, le choix de la typographie ou celui que j’ai fait d’utiliser différentes nuances de gris pour la première partie avec cet effet d’érosion sur le texte. Ce sont des clins d’œil à mes créations. C’est pour cela que je vois le catalogue d’exposition comme une extension de mon travail, mais ce n’est pas non plus une œuvre autonome. À l’intérieur de l’édi- tion, une réalisation a été créée spécialement pour le catalogue. Dans ce sens elle est autonome, mais elle est dans un entre-deux ; à la fois unique et multiple. Cette ambivalence n’était pas forcément consciente. Je voulais donner un soin tout particulier à cet objet à l’intérieur du catalogue d’exposition. J’ai ainsi pu remercier les souscripteurs et les personnes qui adorablement et bénévolement m’ont aidé, tant au niveau de la communication que de la production et de la diffusion de ce projet.
Léo BIORET : Peut-on en savoir plus sur ton nouveau projet d’édition ?
OLIVEOLIVIER : Je ne souhaite pas encore m’avancer sur ce projet qui sera surement réalisé l’année prochaine. J’y travaille depuis longtemps et je rencontre deux problèmes : le premier est plutôt d’ordre technique. Il faut que je trouve un financement même si je le produit en 6 ou 7 exemplaires car ce travail demande des compétences très spécifiques. Ensuite, au niveau de la matière, j’en suis encore à la phase de recherches. Je n’ai pas encore tout ce que je souhaite. Sur une centaine de pages, une quinzaine a pour l’instant été réalisée. Je ne préfère pas parler d’un projet qui n’existe pas encore et qui est encore très mouvant. Comme je le fais régulièrement, sur la partie blog de mon site, je donnerai plusieurs éléments sur l’avancement du projet en temps voulu.
Léo BIORET : Justement, comment fonctionne ton site internet et quelles sont ses spécificités ?
OLIVEOLIVIER : Il s’articule en deux parties principales. une première vise vraiment à me présenter ainsi que ma production avec un portfolio qui regroupe l’ensemble des créations qui s’enrichit au fil du temps. La deuxième partie prend la forme d’un blog ; c’est un principe qui m’intéresse beaucoup puisqu’il donne accès virtuellement à mon atelier. Les visiteurs peuvent voir ou du moins deviner quasi en temps réel ce sur quoi je suis en train de travailler. Je poste souvent juste quelques lignes ou quelques images pour ne pas dévoiler tout le projet en cours, mais suffisamment quand même pour donner une idée de ce sur quoi portent mes recherches du moment. À l’intérieur de la trame du blog, d’un post à l’autre, je crée des fils rouges. Si nous reprenons tout l’historique, des liens existent et fonctionnent à l’aide de jeux visuels et de mots. L’état d’avancement du travail s’étale souvent sur plusieurs mois et les différentes étapes peuvent être constamment renvoyées les unes vers les autres. Il est important pour moi que ces moments de création soient accessibles et visibles. Ce blog me permet de parler de mon travail différemment et de traiter le processus de création. C’est un aspect artistique qui m’intéresse beaucoup. Je lis très peu et principalement de la poésie et des essais. Je fragmente mes lectures en lisant plusieurs ouvrages en même temps, un processus qui ressemble à ma façon de travailler. J’aime connaître plusieurs théories et différents points de vue sur le travail d’un artiste. Et tôt ou tard je ne peux pas m’empêcher de me poser la question de savoir, techniquement, comment il a fait. Lors de l’un de nos échanges précédents je t’ai parlé de la biographie de Marcel Duchamp écrite par Bernard Marcadé. C’est un ouvrage passionnant, d’une précision et d’une richesse digne du chercheur qu’il est. En même temps, la vie de Marcel Duchamp est racontée de manière romanesque ; les 500 pages se lisent donc sans problèmes. un pan entier de la vie de cet homme est révélé. Tout le monde disait dans son entourage que sa plus belle œuvre était l’emploi de son temps. C’est un ouvrage qui m’a beaucoup nourri et marqué en tant que créateur, mais également en tant que lecteur. J’aime connaître l’envers du décor.
Léo BIORET : L’envers du décor est intéressant à parcourir. une fois dans l’exposition, les œuvres finies ne représentent qu’un quart de la démarche artistique. Seul le résultat est visible. Le public n’a pas forcément conscience de toutes les étapes de production et de recherche antérieures. Les techniques utilisées et le processus d’idées permettent de voir comment l’artiste en est arrivé là.
OLIVEOLIVIER : Je comprends aussi que ça puisse ne pas intéresser la plupart des gens. Ce n’est pas forcément ce qui est en jeu lorsque nous nous retrouvons face à une œuvre mais je trouve cela tout aussi captivant que le public puisse y avoir accès.
Léo BIORET : Aujourd’hui comment a évolué l’écriture, le signe et la trace dans ta pratique ? Certaines pièces ont-elles guidé ton travail ces derniers mois ? Travailles-tu sur de nouvelles productions ?
OLIVEOLIVIER : Certains nouveaux projets ont près de 2 ans de maturation. Chacun d’entre eux avance à une vitesse différente. S’ils sont avortés ou laissés de côté, ils réapparaissent le plus souvent sous d’autres formes des années plus tard. L’un deux sera normalement visible dans les semaines qui viennent. Il me permettra de travailler à nouveau sur la trace, mais de façon un peu différente de ce que j’ai fait jusqu’à présent, dans le sens où mon rapport au langage se fera de façon encore plus induite. Il sera en périphérie de l’œuvre. Cette pièce s’inspire d’artistes qui n’ont à priori rien à voir les uns avec les autres, mais qui ces dernières années m’ont énormément marqué : le peintre de l’Antiquité grecque Apelle, le peintre chinois du xvIIIème Shitao et Marcel Duchamp.
Il existe une double nouveauté dans mon travail : j’ai l’impression qu’il tend de plus en plus à jouer avec les limites, notamment dans le domaine du perceptible, et que je développe de plus en plus sa portée humoristique ; cela m’intéresse d’aller dans cette direction. Les dernières créations que j’ai mises en ligne, quand on touche le vide on heurte le plein, Peau de Pergame ou Cache ta vie, sont quelque part assez monochromes. Je suis dans une continuité qui joue avec le langage de manière différente et moins directe par rapport à ce que j’ai pu faire auparavant en écrivant beaucoup sur le support de l’œuvre par exemple. Les références deviennent plus mentales. En dehors de l’édition il y a un autre champ d’études qui m’intéresse particulièrement, c’est l’archéologie. Cette science parle de traces qui révèlent une activité humaine. C’est exactement comme l’édition, je me suis demandé pourquoi je ne m’y étais pas intéressé plus tôt...
Léo BIORET : En allant voir la dernière exposition à l’atelier Alain Le Bras, ton intervention sur le sol est toujours présente, nous pouvons encore y lire « Ceci est un palimpseste » à demi effacé. La trace persiste, les gens continuent à marcher dessus pour la faire évoluer au fil du temps. La ruine de ton œuvre vit toujours.
OLIVEOLIVIER : Je considère cette trace comme une archéologie du temps présent. Ce n’était pas prémédité qu’elle reste aussi longtemps. Au moment du démontage, j’ai voulu l’enlever en frottant mais je n’ai pas réussi à tout effacer. Le fait que cette écriture persiste est indépendant de ma volonté, mais cela me ravit ! L’œuvre est apparue très rapidement au moment du vernissage, ce sont les spectateurs qui l’on fait apparaître en la piétinant et maintenant, par la même action, la phrase disparaît petit à petit.
Léo BIORET : Ce qui est intéressant lorsque tu parles d’archéologie et de cette intervention qui est ancrée dans le sol, c’est que la trace devient une couche, une strate d’un temps d’exposition, un moment de vie de ce lieu. La marque de ton passage en fait maintenant partie et les expositions continuent.
OLIVEOLIVIER : Je souhaitais prendre comme point de départ toutes les traces accumulées et qui sont liées aux expositions. À la fois j’en rajoutais une et en même temps l’idée était de signifier que toutes ces traces existaient encore. La mienne reste et perdure mais comme les autres elle va finir par s’estomper. Je trouve cela amusant que cette trace reste après l’exposition et qu’elle continue à vivre, c’est-à-dire qu’elle soit tout autant un work in progress pour disparaître qu’elle l’a été pour apparaître.
Léo BIORET : Cette trace joue clairement sur la temporalité.
OLIVEOLIVIER : Les concepts de work in progress et d’in situ sont des notions qui me parlent depuis le départ. Il est donc logique que je vienne à m’intéresser à l’archéologie qui étudient des traces d’activités humaines en lien étroit avec l’écrit ne serait-ce que pour les interpréter et les commenter.
Léo BIORET : Quelles sont tes démarches de travail aujourd’hui ? Tu es plus dans une phase de recherche que de création en ce moment ?
OLIVEOLIVIER : Je suis exigeant avec moi-même. Certains projets peuvent se faire en quelques jours, comme prendre des années. Je ne m’astreins pas et je ne m’impose pas un rythme de travail particulier. Je ne vis pas de mon activité artistique, c’est à la fois un handicap mais aussi un avantage. J’ai beaucoup moins cette « pression » je pense, cette contrainte financière et temporelle. Jusqu’à maintenant, à part le catalogue d’exposition pour lequel j’ai fait appel à un site de crowdfunding, j’ai financé la réalisation de mes œuvres moi-même. Le fait d’avoir une activité rémunérée aide pour la production de mes pièces. J’aime également faire appelle à des amis qui ont telles ou telles compétences spécifiques et qui vont me permettre de mener à bien mes projets. C’est une donnée fondamentale pour moi : travailler avec des personnes que j’apprécie pour ce qu’elles sont humainement avant de m’intéresser à ce qu’elles peuvent m’apporter techniquement, intellectuellement et artistiquement.
Léo Bioret

crédits: OliveOlivier, "Décrocher la lune", 2012-2013
"Quand on touche le vide on heurte le plein, 2014
"Less is more", 2012-2014
"Ceci est un palimpseste", 2013
Empreinte relevé sonore, édition Palimpseste / Trace, 2013
"Jean-christophe", 2012-2013