Leo Bioret / Les montres s'arrêtent, MURIEL JOYA / AUDREY MARTIN / THOMAS ROCHON
Les montres s'arrêtent
Exposition du 9-10 novembre 2013, Montpellier

Invité par l’artiste Audrey Martin en résidence au Living Room, le collectif la Glacière saisit l’occasion pour présenter la deuxième partie de son projet, Hors champ de la fin du monde, amorcé en 2012 à travers un mode d’emploi de la fin du monde. Un an après, voici le constat de ce qui aurait pu avoir lieu. Le projet d’exposition à évolué et s’est nourrit des espoirs et des déceptions liés au 21 décembre 2012. Nous avons tous survécus. Mais jusqu'à quand ? Sommes-nous prêts pour l’apocalypse ? Pour se préparer à la fin du monde, imminente, faut-il adopter un nouveau mode de pensée en déplaçant notre vision du monde, que nous imaginons comme un et indivisible, vers une constellation de mondes ? Jean-Clet Martin préfère parler de la fin d’un monde au profit de plusieurs1. C’est dans cette démarche d’éclatement des possibles que Muriel Joya et Audrey Martin ont développé leur travail artistique. « Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou que le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes, l’image est la dialectique de l’arrêt.»2 Qu’en est-il des représentations de la fin du monde ? Nous devons sans cesse décrypter l’image par les informations qui nous parviennent à travers les rumeurs, les prédictions et la diffusion de l’actualité ; autant de manières d’« encadrer » notre vision du monde. Ces prévisions sont des outils, censés nous permettre de nous préparer à l’éventualité de ce qui va se produire. Une manière de nous rassurer à court terme. S’il est facile de manipuler ces images et leur interprétation, leur pouvoir est illimité et a permis aux artistes de nous proposer un système efficace de destruction et de transformation de l’image qui nous repositionne dans l’espace à travers six œuvres inédites. Le Journal #1, Mode d’emploi, daté du 21 décembre 2012, présente un archivage du futur. Il fonctionne comme une prédiction du projet, Hors champ de la fin du monde, exposition qui reconditionne nos habitudes spatio-temporelles. Les œuvres proposées dans l’espace d’Illusion et Macadam s’articulent autour de l’installation zéro point zéro. Cette projection vidéo, travail collaboratif entre Muriel Joya et Audrey Martin est une proposition de destruction de The Longest day (installation 2009-2010). Dans cette dernière version l’image a disparue et laisse place à une lumière blanche. Audrey Martin détourne les missions scientifiques de recherche absolue de l’Information et nous propose la Ruine M2K2, le ballon sonde doré a été récupéré lors d’une « chasse au trésor ». Il est présenté sous sa dernière version, la ruine, un état irréversible. Dégonflé, le ballon à terminé sa mission. Les données secrètes : météorologiques, codées, prévisions ont été récupérées. Vidé de son essence et de sa fonction il est transformé par l’art du doreur en pièce précieuse. Face à cette dualité quotidienne entre l’image et la réalité, chaque jour est une fin et les mondes se font et se défont à une vitesse vertigineuse. Dans cette exposition, le principe de réalité par l’image est remis en question. « Voir : tout est là. Le journal peut mentir. La radio peut mentir. L'image, elle, ne ment pas; elle est la réalité, elle est la vérité. Plus même : elle gagne en crédit ce que la parole et l'écrit ont perdu. Quiconque a, dans sa vie, pris une photographie ou a été photographié le sait bien. Cette conviction, cette confiance absolue dans ce que les yeux ont vu, sont si ancrées dans l'esprit de chacun de nous qu'il doit faire effort pour garder l'esprit critique. »3 Cet effort ultime face à l’image est peut-être la dernière étape pour survivre à la fin des mondes… Lorsque l’image disparaît on se pose tous la même question « Quelle direction doit-on emprunter ? » C’est en tentant de répondre à cette question que Muriel Joya propose deux pièces pour l’exposition, qui parcoure l’archivage en évacuant la « vraie » image. Sédimentations 2012 et N.E.W.S explorent la proposition de changement de point de vue de Georges Pérec dans son ouvrage, Espèces d’espaces en modifiant notre manière de percevoir le monde en nous positionnant face à l’espace et non plus au temps. Demandons-nous enfin où nous sommes situés et plus quelle heure il est ! On abandonne la montre et on prend la boussole ! Un repositionnement par l’archivage quotidien présenté sous la forme d’une photographie couleur et une installation où la chronologie et la direction géographique s’affrontent. Sédimentations 2012 fragmente le temps en faisant disparaitre les informations sous la forme d’une carotte sédimentaire. Les journaux sont empilés et pliés de manière à ce que l’image disparaisse dans cette colonne sans fin. L’installation sonore et visuelle N.E.W.S opère un détournement géographique des unes de journaux. Elles sont décrites oralement et la monotonie de l’information listée, supprime l’image qui pourrait lui être associée. A la place la boussole dévoile son jeu de directions, la véritable information nécessaire en cas d’apocalypse ! L’accumulation de l’archive et la boussole permettent à la fin du monde de nous apparaitre plus physique que jamais. On pourrait presque la personnaliser. C’est ce que présente Audrey Martin dans sa pièce Global Damages. Des catastrophes à emporter qui reprennent des résultats scientifiques simulant un impact de météorite sur terre. En personnalisant et en s’appropriant une catastrophe naturelle qui pourrait engendrer l’apocalypse, les frontières de l’imagination et du pouvoir, disparaissent pour nous laisser seuls maîtres de notre fin du monde. L’évènement catastrophique ou salvateur qui devait arriver a fait un gros flop ! La fin du monde c’est terminé ! Elle est devenue ironique et obsolète. L’être humain « déçu » d’avoir cru en la fin des temps s’accroche une dernière fois à celle-ci en s’appropriant son image afin de la modeler comme il le souhaite. La superstition a disparue, la fin du monde a perdu son statut métaphysique, elle s’est humanisée en devenant un repère spatio-temporel. L’être humain explore maintenant la pluralité des mondes. Les montres s’arrêtent, les boussoles s’affolent…
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1.Jean-Clet MARTIN, Plurivers, Presses Universitaires de France, coll. Travaux Pratiques, Mayenne, 2010.
2.Panagiotis Christas, Le statut de l'image dialectique in "Revue des sciences sociales, 2005, n°54
3.Pierre VIANSSON-PONTÉ, Le Monde, 25 juin 1972.
Léo Bioret

crédits: photographies Muriel Joya
La Glacière, vue de l'exposition "les montres s'arrêtent", Living Room, Montpellier
Audrey Martin, "Global Damages", 2013
Muriel Joya, "Sédimentations 2012", 2013
Muriel Joya et Audrey Martin, "The longest day", 2013
Audrey Martin, Ruine M2K2, 2013
Journal La Glacière, "Mode d'emploi de la fin du monde", conception et mise en page: Thomas Rochon, textes: Léo Bioret, 2012-2013
Audrey Martin, "Global Damages", détail, 2013
Muriel Joya, N.E.W.S, 2013