Leo Bioret / J'amène l'art dans la vie et la vie dans l'art, QINGMEI YAO
J'amène l'art dans la vie et la vie dans l'art
Entretien, 2015
Qingmei Yao s’apprête à commencer une résidence d’un mois. L’exposition monographique de l’artiste est visible jusqu’au 21 février à la galerie Paradise. C’est l’occasion pour le public nantais de découvrir 5 performances filmées et installations vidéo réalisées depuis 2012. C’est aussi l’opportunité pour l’artiste de parler de ce qui porte artistiquement son travail, de montrer son investissement artistique, personnel et culturel qu’elle injecte dans sa pratique de la performance et de la vidéo. Qingmei Yao aborde des notions d’épuisement, de déplacement, de mouvement du corps et de symbolique des gestes dans une pratique développée autour de l’humour et de la mise en scène de petits détails faisant partie d’une plus lourde réalité.
Léo Bioret : Je pense qu’il est intéressant d’aborder dans cet entretien les grandes notions qui traversent ton travail. Des notions qui correspondent à ta pratique de la performance et de la vidéo mais aussi qui te correspondent en tant que personne et en tant que femme, ayant de nombreux questionnements contemporains et appartenant à la communauté artistique internationale. Cette résidence à Paradise est plus une résidence de recherches que de création. Quels types de réflexions penses-tu mener durant un mois et comment penses-tu aborder cette résidence ?
Qingmei Yao : Béatrice Dacher et Michel Gerson m’ont proposé cette résidence qui s’organise en deux temps. La première exposition permet de montrer ce que j’ai déjà fait. J’expose cinq travaux dans l’espace d’exposition de la galerie Paradise, certains sont plus anciens que d’autres, Le troisième couplet de l’Internationale à Monaco, 2012. Je viens de terminer le plus récent, Sculpter un billet de 100 euros, au mois de novembre dernier.
Ici à Nantes, personne ne connait mon travail et c’est l’occasion pour le public de découvrir ma pratique artistique générale. Pendant ce mois de résidence je vais continuer mes recherches car ce temps de résidence de un mois est court et je n’ai pas une pratique très liée à l’atelier d’artiste. J’ai besoin de l’atelier mais je ne pratique pas cet espace quotidiennement. Il m’arrive parfois de rester deux semaines sans mettre les pieds dans un atelier. Je vis et je pratique à l’extérieur. Dans mon travail il y a de la vie, c’est ce qui rend mon travail accessible aux gens. Je suis très influencée par les mouvements du dadaïsme et du Fluxus, je me reconnais dans cette attitude de la vie et de l’art confondu. J’amène l’art dans la vie et la vie dans l’art ! La matière première pour moi c’est aussi l’expérience de la vie. Je sors souvent pour sentir et découvrir des choses.
LB : C’est alors un déplacement qui s’opère lorsque tu sors de l’atelier, un espace que l’on rapproche souvent à la résidence d’artiste. QY : J’ai besoin de cet espace malgré tout, un espace ou je peux travailler et réfléchir mais je peux travailler de deux façons différentes. On retrouve dans la pratique de la performance que l’on peut découvrir dans l’exposition, des espaces et décors fictionnels que j’ai construit. Mais aussi des vidéos réalisées dans la rue, très loin de l’espace de l’atelier. Ma pratique n’est tout simplement pas directement liée à l’atelier mais elle s’y réfère par moments.
LB : Ta résidence sera donc plus axée sur des réflexions et des recherches que tu voudrais mener aujourd’hui ?
QY : Oui, je pense que je ne montrerais pas une exposition de fin de résidence avec de nouvelles pièces réellement finies. Ce n’est pas le but de cette résidence, même si je peux avoir une bonne idée durant ce mois de résidence. Les réflexions que je vais mener durant cette résidence existent déjà, elles ne commencent pas à se développer à la date précise de la résidence mais j’aimerais les mener un peu plus loin. Je ne me considère pas comme quelqu’un qui produit tous les jours ni en grande quantité.
LB : Tu abordes l’épuisement de la parole, la disparation, la répétition, la détérioration de la matière, l’épuisement du mouvement et les postures d’endurance. Cette notion d’épuisement se relève dans pratiquement toute les vidéos présentées à Paradise est très présente. Tu me disais il y a quelques jours être toi-même épuisée physiquement. Comment as-tu développé cette notion dans ta pratique et d’où as-tu tiré cette énergie et cette force qui se dégage de ton travail ?
QY : Je pense que dans chaque travail artistique il y a une sorte d’épuisement qui se créé mais à chaque fois de manière différente. Concernant mes pièces, j’aime bien voir les choses dans leur complexité malgré la simplicité du geste. On pourrait dire que parfois, ce que je fais est simple mais j’aime aller derrière les choses et les réfléchir dans une sorte de démarche obsessionnelle. J’essaye de tout comprendre, tout capter et tout analyser, c’est surement de là que vient cette énergie.
LB : Tu vas jusqu’au bout des choses dès que tu trouves un élément qui t’intéresses, c’est là ta force artistique. La simplicité du geste est poussée au bout de sa possibilité de production.
QY : Ce que j’essaye de faire, c’est de ne pas voir les choses dans leur généralité mais plutôt dans leur particularité en les fragmentant. A partir de ce fragment je créé cette sensation d’épuisement. C’est difficile pour moi, c’est épuisant d’analyser chaque détail qui m’intéresse dans toute sa possibilité artistique. Les possibilités se multiplient au fur et à mesure mais je ne m’éparpille pas. J’essaye toujours d’organiser mon travail d’une certaine manière. Je ne montre pas les choses en tant que tel mais je fais un tri. J’aime bien organiser chaque fragment artistique de telle manière qu’on puisse le comprendre et le saisir. C’est par l’orientation que je donne aux choses que j’essaye de poser des questions. Pour moi tout est très complexe. De multiples questions sont posées dans mon travail et j’essaye, avec tous ces éléments et toutes ces réflexions, d’organiser cette complexité pour qu’elle touche les gens avec des discours accessibles.
LB : Parlons de ta pratique de la performance. Tu tires tes influences d’une partie de ta formation passée à la Villa Arson de Nice c’est bien ça ?
QY : A la Villa Arson ils ont un axe de recherche et des ateliers de recherche sur l’écriture. C’est une pratique qui me passionne depuis toujours. Avant de rentrer aux Beaux Arts j’avais une pratique d’écriture mais qui restait personnelle. C’est pour cela que j’ai choisis de continuer ma formation à l’ENSA de Nice. Mais mes influences liées à la performance se sont même révélées bien avant la Villa Arson à Nice. C’est à Limoges au Musée Départemental d’art contemporain de Rochechouart qui possède une grande collection de Raoul Hausmann que j’ai découvert des vidéos et des performances sonores de cet artiste. J’ai par la suite découverte la poésie action lors de festivals organisés dans la région. J’étais en troisième et quatrième année de DNAP à L’ENSA de Limoges lorsque je me suis intéressée à ces différentes pratiques.
LB : Cet intérêt pour la performance est lié à la pratique vidéo. Comment est-ce que tu situes ton travail vidéo dans ta pratique ? La vidéo est aussi bien une trace qu’une pratique de l’image et du mouvement à part entière ? Comment sépares-tu ou relies-tu ces deux formes si proches et comment s’articules-t-elles dans ton travail ? Cette ambigüité de la forme plastique montre-elle que la forme vidéo est aussi importante que la performance au moment ou elle est jouée ? La vidéo, en tout cas l’enregistrement est aussi bien une forme de documentation qu’une œuvre à part entière.
QY : J’essaye vraiment de développer cette ambiguïté là dans mon travail. A partir du moment où je fais des performances je dois aussi penser à sa forme. Je ne me considère ni comme vidéaste ni comme performeuse mais je reste constamment à la frontière des deux. Ce que j’aime dans la performance c’est sa temporalité. C’est une pratique de l’éphémère qui vit dans le temps et dans l’espace. Je trouve qu’il y a une dimension irremplaçable dans la performance. On ne peut pas rejouer ce moment de performance même en le présentant dans une vidéo. La vidéo ne peut pas reconstituer la performance passée. La performance reste la performance. Ces questions en lien avec la performance et sa retranscription sont visibles dans l’installation vidéo que l’on peut voir dans l’exposition, Victoire, Fierté, Endurance. A la base c’est une performance qui a été jouée et filmée sans public, exprès pour avoir une meilleure qualité. Je me suis posée de nombreuses questions en lien avec la répétition du moment de la performance. Pourquoi cette forme de la vidéo pour montrer la performance ? La performance était déjà réalisée mais la vidéo n’est pas la performance. Mais en même temps je ne voulais pas non plus considérer cette vidéo comme une simple archive de la performance. Dans le sens où je trouve cette forme un peu « parasite ». Mais j’aimerais que la vidéo prenne plus de place, elle doit être indépendante de la performance et autonome. J’ai choisit de présenter cette vidéo sous la forme d’une installation, au milieu d’un décor de planches et de polystyrène. C’était au début, une forme d’expérimentation pour retrouver cette notion d’espace présente dans la performance. C’est une sorte de reconstitution de la performance sur place. D’une certaine manière on arrive à retrouver le même esprit par la reproduction du rapport du corps avec l’espace. Même lorsque le corps des spectateurs se déplace devant cette installation vidéo et que les corps et les gestes des personnages apparaissent au fur et à mesure du déplacement. Mais il ne s’agissait pas pour autant d’une réinterprétation de ma performance car c’est impossible. J’ai ajouté certains éléments extérieurs à la performance qui ont chacun un sens précis car l’objet n’est pas neutre. J’ai projeté cette vidéo sur ce « décor », ce qui ne donne absolument pas le même effet qu’une projection sur un mur. Les têtes des trois performeurs à l’arrière plan se retrouvent coupées par la mise en place du « décor ». La main du personnage de la déesse de la victoire est soulignée par un bout de polystyrène suspendu. Tout ce « décor » n’était pas du tout présent dans la performance mais c’est un peu dans la même logique parceque je souligne certains geste comme ce bras et cette branche d’olivier qui au bout de 9 minutes s’épuisent et tombent. D’une certaine manière ça souligne l’interprétation d’une interprétation de deux performances.
LB : Est-ce que tu vois cette installation vidéo comme une extension de ta performance ?
QY : Au début de ce projet je me suis posé une fausse question, est-ce que l’on peut faire une vidéo en tenant compte de la performance ? Comment est-ce que l’on considère la place de la vidéo dans une performance ? J’aime aussi que le travaille fonctionne en autonomie, sans que ma présence physique soit nécessaire à chaque fois. Si je fais la performance moi-même, il faut que je sois là, que mon corps existe et face des mouvements mais j’aime aussi que mon travail se détache de moi, se détache de la présence de l’artiste et c’est là que se situe mon travail de la vidéo. Finalement, cette installation, sans parler de la forme de la performance, fonctionne indépendamment. Cette forme à du sens comme une sorte de pauvre « théâtre », un peu triste. Il y a en même temps des questionnements sur l’installation qui renforce le propos de ce travail par la déstructuration des corps qui sont projetés. Il y a un aspect assez violent dans cette approche des gestes et du corps.
LB : La mise en scène est très appuyée par le fait que les symboles renvoient complètement au théâtre des grandes tragédies grecques et leur architecture épurée qui est ici en quelques sorte en ruine et déstructurée. Cette ambigüité de la forme plastique montre-elle que la forme vidéo est aussi importante que la performance au moment ou elle est jouée ? La vidéo, en tout cas l’enregistrement est aussi bien une forme de documentation qu’une œuvre à part entière.
QY : Je me pose vraiment la question du statut de la vidéo en lien avec la performance qui a déjà eu lieu et de l’installation dans mon travail. Ce qui est vraiment intéressant c’est que cette réflexion là m’a amené à un autre projet, intitulé, Professeur Yao. Dans ce projet les deux formes sont complètement indépendantes et qui coexistent. Ce projet se développe sur le même modèle par contre il y a une installation et une conférence-spectacle. Les deux existent et proposent deux lectures complètement différentes. Les deux formes se complètent. Pour revenir à l’installation vidéo de Victoire, Fierté, Endurance, pour moi, je ne parle pas vraiment de la performance puisqu’elle a déjà eu lieu. Par contre dans le Professeur Yao, il existe deux formes. Aujourd’hui je pense avoir trouvé, deux formes qui fonctionnent très bien ensemble. Ces deux formes sont en jeu et donnent des lectures complètement différentes. La forme de la conférence-spectacle a une logique binaire inévitable puisque comme dans une performance, dans la conférence, c’est toujours le même schéma de commencer par un point A et finir à un point B. Par contre l’installation qui se développe en parallèle n’a pas la même lecture temporelle et donne un résultat beaucoup plus rhizomatique. La vidéo de l’installation est montée de manière à ne prendre que dix secondes de la conférence et le reste est tourné indépendamment.
LB : Existe-t-il une différence entre les performances jouées dans la rue ou en extérieur comme, sculpter un billet de 100 euros où le public et les passants ne savent pas qu’ils donnent une valeur d’interaction à ta performance et les performances jouées en intérieur comme Danse, Danse, Bruce Ling, annonces-tu ce genre de performance ou les relayes-tu simplement par la vidéo ? D’ailleurs est-ce là que se situe la frontière entre les performances et ton art vidéo ?
QY : Je ne suis pas une spécialiste du terme de happening mais je pense que la différence se situe peut-être là. Les performances et interventions jouées dans la rue comme, Sculpter un billet de 100 euros, est peut-être plus proche d’un happening. Les passants ne sont pas du tout avertis de l’intervention par un lancement ou autre chose car ce n’est pas le but de ce type de performance. Par contre la performance Danse, Danse Bruce Ling était annoncée au public car je considère plutôt cette action comme un spectacle minimaliste. Je ne considère pas vraiment cette pièce comme une sorte de performance car il y a quand même une mise en scène très importante. Je fais des différences entre les différentes formes de ma pratique mais les frontières restent pourtant assez floues et poreuses. J’utilise le terme de spectacle car c’est une forme du spectacle qui est détournée. Ce travail là est un peu particulier parce que tous les éléments sont joués en même temps. Je travaille forcément des questions de la performance dans ce spectacle. Le personnage de Bruce Ling porte un symbole fort dans une chorégraphie accompagnée au piano. Les gestes et les postures sont fixés dans l’épuisement, mais ce n’est pas un épuisement physique visible mais plus une force d’endurance où l’effort se ressent. On peut y voir, dans cette vidéo, le sens direct et brutal du corps qui souffre. A un moment dans la vidéo, Bruce Ling casse un objet sur la scène, on entend le bruit de l’objet qui se casse. Le fait de détruire un objet c’est un geste important dans la performance. Ce que je trouve intéressant dans ce travail c’est les souffles qui rythment la vidéo où l’on peut sentir le corps.
LB : Effectivement on peut distinguer à un certain moment le mouvement de ton souffle à travers la combinaison. L’épuisement du corps se voit à ce moment là. Ce n’est plus simplement des gestes, le corps est en jeu. Ce sont des questionnements et des éléments que l’on retrouve dans le spectacle vivant, le cinéma, la danse contemporaine et le théâtre, quelle relation entretiens-tu avec ces autres types d’art ?
QY : Ce sont des arts qui m’intéressent mais ce sont plutôt des influences de culture générale. Je m’intéresse beaucoup à la culture populaire. Je me sens proche du spectacle vivant par les gestes. Il m’arrive de regarder un spectacle exclusivement en étudiant l’enchaînement des gestes et leurs significations. Ce sont des gestes qui portent beaucoup de sens. Dans la vidéo, Danse, Danse, Bruce Ling, on retrouve ce genre de posture que j’aime développer et qui m’intéresse. Ce sont souvent des postures assez puissantes que le personnage arrive à enchaîner. J’ai moi-même élaboré la chorégraphie. Je pense que tout le monde avec son corps pratique le déplacement et le geste. Par le corps on porte beaucoup de symboles, de gestes et de langages qui sont forts. Dans l’installation vidéo, Victoire, Fierté, Endurance, les trois filles à l’arrière plan pratiquent des gestes et des mouvements qui me sont inspirés des exercices du matin que j’effectuais quand j’étais petite. C’était des gestes très rigides. Ces exercices du matin existent toujours en Chine dans les écoles même si les générations changent. Les gestes ont donc changés et sont un peu plus rock’n’roll ! Des éléments de danse beaucoup plus souples sont intégrés à ces exercices. Mais quand j’étais petite, ces gestes étaient durs et strictes. Cet exercice avait un côté très militaire. Dans mes vidéos j’invente aussi des gestes parfois drôles et décalés pour voir comment cela fonctionne.
LB : Revenons sur tes influences mais aussi ton parcours, ta formation et ton histoire. J’ai lu que tu avais étudié le marketing en Chine avant de venir en France. Est-ce l’élément déclencheur qui t’as « donné des ailes » qui t’as fait sortir de ton cadre culturel quotidien et partir en Europe ? Ce déclic était-il précurseur de la forme qu’allait prendre ta pratique quelques années plus tard ? De quoi t’es-tu rendu compte pour vouloir changer, de vie, d’études et de continent ?
QY : Ce n’était pas vraiment un recommencement pour moi mais j’ai plus abordé ce moment comme un changement qui m’a permis de voir autre chose. Sur le moment j’avais besoin de connaître autre chose. Cette cohérence du déplacement culturel et géographique se retrouve aussi dans mon travail. C’est une réelle mise à distance avec qui tu es. Ce déplacement et ce changement permettent de comprendre qui tu es et de refaire le point sur ta personne. Le fait de te retirer de ton contexte ouvre de nombreux questionnements. Même avant de venir en France je me suis toujours beaucoup déplacée. Je me considère toujours dans une sorte de déplacement. C’est une nécessité pour moi d’expérimenter le déplacement. C’est une action enrichissante que de se retirer de son contexte d’origine pour se mettre dans un autre. C’est stimulant intellectuellement dé réussir à voir les choses d’une autre manière, avec un autre point de vue. Le déplacement entre la Chine et la France est très différent évidemment, mais cette différence n’est pas pour moi une frontière mais plus une richesse. En se déplaçant de cette manière on arrive beaucoup plus à comprendre qui nous sommes.
LB : C’est dans cette action de déplacement que tu puise ta richesse artistique ?
QY : Oui, dans la confrontation et le sentiment d’étrangeté que peut amener le déplacement. Même dans le contexte original duquel on vient on ressent cet étrangeté qui est moins visible volontairement, mais on s’en rend compte en partant. Le corps est finalement tout le temps en confrontation avec toi-même, avec les symboles et les choses que l’on a reçus qui nous identifie culturellement. Tu as toujours une sorte de rejet mais le fait de se déplacer permet de trouver une sorte de distance avec cette confrontation. Tu arrives alors à mieux comprendre et mieux digérer ce qu’on t’impose et comment tu t’es construit dans ce contexte original et personnel. Ca m’arrive souvent, encore. J’ai parfois l’impression que mon travail est mal interprété d’une certaine manière parce que les généralités sont trop vite mises en avant. Mais ce sont aussi des stéréotypes qui donnent des idées qui sont très fortes aux gens.
LB : Est-ce que ta force artistique ne se trouve pas là ? Tu déplaces sans cesse des notions et des éléments d’un territoire à l’autre. Les gens qui n’ont pas vécus se déplacement, quand ils se retrouvent face à tes vidéos vont forcément assimiler les gestes, les signes et l’image avec des choses qui leur parlent, les généralités du monde politique et social. Ce sont les premières choses qui vont leur venir en tête, des symboles qui sont ancrés dans la mémoire collective. Mais par le déplacement que tu opères et que tu as vécu personnellement les richesses qui se cachent derrière les généralités sont nombreuses dans ton travail.
QY : Je pense que dans mon travail on peut déjà voir une sorte d’ambigüité. On se demande si je suis sérieuse dans mes vidéos, j’installe le doute. Je pense que mon travail reflète complètement qui je suis. Les questions que j’essaye de poser sont des questionnements que ne sont pas résolus. Je prends de la distance par rapport à ces questions par l’humour et par le fait que mon corps est remplit de symboles. D’une certaine manière tu ne peux pas complètement sortir de ton corps et faire semblant par rapport à qui tu es. Je joue sur cette ambigüité là, de mettre mon corps en scène à travers des personnages fictifs mais qui ramène constamment à la réalité.
LB : Tu dénonces par l’humour, qui est traitée par touches, toujours présent, maîtrisé. C’est l’une des caractéristiques de ton travail qui rapproche les gens. L’humour pathétique et le décalage donne une dimension burlesque à ton travail. C’est par ce biais cinématographique, de suspens et de mise en scène qui tu arrives à créer un certain espoir humoristique je trouve. Penses-tu être un vecteur d’espoir, à l’heure où la société semble blasée et résignée des situations politique et sociale ?
QY : L’humour sert à dédramatiser et à donner une sorte de légèreté aux situations de vie que je traite. Certaine personne peuvent penser au communisme, au capitalisme et à l’autorité d’un état, l’argent et les problèmes sociaux en voyant mon travail mais toute cette réalité est trop lourde pour moi. Je ne suis pas là pour rendre la vie plus dure ou plus complexe qu’avant. Je reste sérieuse dans les sujets que je traite mais j’essaye quand même d’y injecter une légèreté. C’est une véritable attitude pour moi.
LB : Tu n’apportes pas une réponse aux problèmes de la réalité. Est-ce une nécessité pour toi de montrer cette réalité et ses problèmes non résolus ? De te moquer de la lourdeur politique mais aussi d’en faire, dans un cadre très autoritaire, auto-dérisoire, dénonciateur et fulgurant, des instants importants où la performance, la prise de parole, la chorégraphie du corps, les mouvements, donnent un aspect de légèreté à cette réalité. Cette légèreté mais en même temps cet investissement que tu as dans ta pratique te permettent de maîtriser tous tes sujets auxquels tu t’intéresse beaucoup. Par cette maîtrise tu arrives à proposer un point de vue personnel par le détail.
QY : J’essaye vraiment de me détacher de tout ça. Je ne suis pas du tout dans le jugement, je ne prends pas position. Je suis forcément pour des valeurs sociales alors je dénonce mais d’une manière simple. Je m’affirme, je suis sceptique, j’ai des doutes sur la vie, du coup je ne peux pas vraiment donner une sorte de vérité sur telle ou telle chose. Il n’y a pas vraiment de bonne vérité et j’essaye de me sortir de tout ça. L’humour me maintient à distance.
LB : Ton art est à forte consonance politique et il est engagé. C’est en tout cas ce qu’on lit le plus souvent à propos de ton travail. Mais toi, en tant qu’artiste comment te positionnes-tu face à cela ? Comment trouves-tu cet équilibre dans la dénonciation ? Ou parles-tu plus de monstration et de dérision plutôt que de dénonciation ?
QY : Il n’y a pas vraiment de message dans mon travail. Je ne cherche pas précisément à donner à voir un message plutôt qu’un autre. Pour moi il n’y a aucune fonction dans ce que je fais. Il existe forcément des questions politiques et sociales qui sont soulevées dans mon travail mais je ne suis pas du tout là pour résoudre ses problèmes et les dénoncer. Je les montre simplement. Je ne prétends même pas à délivrer un message, c’est trop difficile. Je n’ai pas de message mais j’essaye de soulever des questions en pointant sur certains détails qui font mal parfois ou bien qui m’interpelle et me parle. Il est surement plus difficile de produire un travail non engagé qu’engagé ! Chaque pratique artistique est forcément engagée. Mon engagement à moi n’est pas de prendre position par la dénonciation. Surtout avec le travail vidéo que je mène qui est forcément dans le visuel.
LB : Tu montres simplement une image par des actions ?
QY : C’est plus compliqué que ça et ce n’est pas précis non plus. Il y a une chose que j’aime bien dans l’art c’est qu’il y a toujours des choses sur lesquelles on aura des doutes, on ne sait pas pertinemment ce que c’est, ce que ça représente. Mon travail se situe là, dans cette faille. C’est une pratique de l’entre-deux qui me correspond bien. C’est là que ça devient intéressant car même l’artiste ne peut pas vraiment interpréter complètement son travail.
LB : C’est aussi à ce moment là que nous sommes confrontés à cette réalité que tu nous proposes. Cette frustration que l’on peut ressentir dans tes vidéos (une frustration d’impuissance ou de total décalage dans les réactions), est-ce la même frustration que tu ressens aussi face à cette réalité qui te tombe dessus ?
QY : Oui bien sur, tout se joue aussi dans l’incompréhension face à une situation que l’on essaye de comprendre. Moi par exemple j’essaye toujours de comprendre pourquoi dans le quotidien il y a parfois une force qui nous fait sentir pris au piège. Cela vient aussi de l’éducation et des idées utopiques que j’ai reçues. Tout le monde n’est pas forcément sensible à cette éducation mais la réalité se trouve toujours être très cruelle. J’essaye de rendre ces sensations de compréhension visibles. Je ne sais pas si c’est réellement de la frustration finalement.
LB : C’est plus une frustration positive, elle fait partie des exemples de ressentis que l’on peut avoir devant tes vidéos. Les décalages se ressentent souvent par le rire. Ca fait longtemps que je n’ai pas rit devant une vidéo d’artiste. La plupart du temps, appréhender une vidéo d’artiste est très protocolaire ou complètement dans la découverte, sans savoir ce que l’on va découvrir. On met en place une espèce d’attitude professionnel qui nous permet d’analyser, les gestes, les formes, le montage, etc. Je n’ai été que très rarement surpris dans les vidéos d’artistes. Mais ton travail fonctionne dans la surprise.
QY : Je me sens toujours étrange dans ce genre de situations que je mets en scène. Je suis encore une fois dans un décalage, un déplacement des situations que j’essaye de créées. Ces détournements sont assez dérisoires et j’ai peut-être aussi tiré mes influences des sketchs humoristiques que j’ai regardés.
LB : Tu as une forte maîtrise de ton corps pour réussir à te mettre en scène ainsi, à rendre compte des atmosphères différentes que tu expérimentes et créés à l’écran. Comment mets-tu en place tes vidéos performances ? Peux-tu nous parler du projet, sculpter un billet de 100 euros pour que l’on se rende compte que c’est un travail réfléchit tant dans le fond que dans la forme ?
QY : Une association m’a proposé de faire une intervention pour la manifestation organisé sur le couplage de la poésie et de l’argent, Po & Fric ! Politique et poétique de l’argent en quelque sorte. Dans mon travail il y a finalement toujours un rapport avec l’argent, le Procès en parle délibérément, Le troisième couplet de l’Internationale à Monaco parle de l’impôt, … J’ai donc réfléchis à ce projet, Po & Fric, l’argent étant un élément qui fait partie de notre quotidien. J’ai ensuite pensé à mon rapport avec l’argent. Depuis que je fais de l’art je m’intéresse à l’écriture. Je trouvais d’autres moyens pour m’exprimer sans vraiment parler, sans utiliser la parole. À Limoges j’ai écrit, noté beaucoup de notions et de choses qui m’intéressait. Dans ces textes une partie était consacrée à l’argent. Je me suis rendue compte qu’ici on ne voyait pratiquement jamais d’argent ni de billet vraiment usé tellement l’usage de la carte bancaire est forte. Dans mon enfance, je me souviens que je passais mon temps à toucher et réparer des billets qui était tellement usés que la texture était complètement différente de la matière d’un nouveau billet. L’odeur est différente elle aussi. Pourquoi on ne peut pas laisser un billet d’euros s’user, il ne perd pourtant pas sa valeur en s’usant. Je me suis donc intéressé à ce geste d’usure du billet, avec les doigts. Le fait d’user un billet qu’est ce que ça veut dire ? Ca ne veut pas dire que je vais détruire cet argent, le bruler ou le faire disparaitre par un geste spectaculaire comme Gainsbourg par exemple. On n’a pas le droit de détruire l’argent par contre le geste d’usure est quotidien et par ce geste quotidien l’argent peut s’user. C’est dans ce sens que j’ai essayé de détourner la situation économique dans ce projet, Sculpter un billet de 100 euros. C’est une réelle réflexion temporelle qui peut amener à détruire l’argent par un geste d’usure. C’est une sorte de manière détournée, à la frontière, sur le fil, de détruire de l’argent par un geste quotidien de la société.
LB : Combien de temps t’a-t-il fallu pour user ce billet de 100 euros ?
QY : Un peu plus d’un mois. Mais c’est surtout pendant des interventions et des performances dans la rue que j’arrivais à user ce billet. C’était des moments ou j’étais très concentrée sur mon geste. Il m’est aussi arrivé de frotter le billet à certains moments justes pour que mon travail avance ! Mais l’essentiel du temps d’usure s’est produit dans la rue. Aujourd’hui je montre trois vidéos de cette action réalisée à Paris, dans l’exposition. Mais j’en ai fait plus, à Limoges pour l’association mais aussi à Thiers. Les réactions sont très différentes d’une ville à l’autre. J’ai choisis ces trois vidéos pour fixer mon installation. Elles fonctionnent bien ensemble. Ces vidéos confrontent des lieux complètement différents et des situations différentes mais avec le même geste. Lorsque je me suis déplacé avec les personnes qui filmaient on sentait la différence des lieux en passant d’un quartier chic à un autre plus modeste tant dans l’aspect général des rues que dans les populations que l’on croisait. Ce déplacement m’a beaucoup influencé. L’origine de ce projet s’est aussi développée par mon attirance pour le déplacement et la déambulation. C’est un travail qui peut faire écho au vidéogramme de Francis Alÿs, Reenactment, où il se ballade dans les rues de Mexico avec un pistolet. C’est l’artiste qui amène une sorte de danger, avec le billet de 100 euros, c’est inversé, j’amène le danger vers moi. Il existe une sorte de violence qui pèse autour de ce projet.
LB : Cette violence est effectivement palpable dans les trois vidéos dans la rue. On se demande sans cesse ce qu’il va se passer, ce qu’il va t’arriver avec ton billet montrer à vue de tous. Est-ce que les gens vont venir vers toi ? Est-ce que certains vont essayer de te le voler ? On voit en fait toutes les réactions différentes des gens autour de toi et c’est par ces interactions que tu créés une sorte de violence invisible mais présente dans ces vidéos, tu produis une attente chez le spectateur tant dans l’exposition que dans la rue avec ton billet.
QY : On le voit bien dans la troisième vidéo sur les Champs Elysées, les gens sont dans l’attente. Ils sont autour de moi, intrigués. Ils cherchent à comprendre ce que je suis en train de faire. Ils attendent qu’il se passe quelque chose.
LB : Tu rejoins beaucoup le spectacle vivant dans cette forme de performance où le public attend le spectaculaire.
QY : Certaines personnes ont regardés l’intervention du début jusqu’à la fin pendant 30 minutes sans comprendre ce qu’il se passait, mais ils attendaient. Même pour moi c’était une surprise. Pour ce geste là, je pensais que ça allait être une micro intervention sur un temps très court. Pour ce projet je ne pensais pas que l’intervention allait créer cet attroupement important. Je me suis prise à mon propre piège ! Je pensais faire cette intervention très simplement en confrontant l’image de ce billet et de ce geste d’usure au mendiant qui était sur le trottoir. Au fur et à mesure les gens s’arrêtaient pour me regarder, me photographier ou m’imiter. Au bout d’un moment, le geste devient mécanique, presque rituel et difficile. Je dois me concentrer sans être dans aucune forme de communication tout au long de l’intervention et c’est très difficile. Heureusement la police est intervenue pour m’arrêter dans mon mouvement car je souffrais, mon bras commençait à trembler, j’étais vraiment dans l’épuisement.
LB : Comment s’est mise en place la deuxième partie de ce projet, la quatrième vidéo, de la vente aux enchères de ce billet de 100 euros que tu as réussi à vendre 450 euros?
QY : Je n’ai pas maîtrisé ce prix de 450 euros, c’était le but, voir à combien je pouvait vendre un billet de 100 euros, devenu par un geste d’usure, par l’enlèvement d’un tout petit bout de matière, une sculpture. J’avais mis un prix de réserve de 100 euros au départ. Je voulais savoir combien coûte un geste artistique. La seule chose que les gens présent à la vente aux enchères savent sur ce billet c’est un texte explicatif de ma démarche, mais ils ne voient pas les images qui ont été tournées. Ce tout petit bout de coton qui s’est détaché du billet a donné une valeur économique et artistique à ce billet de 100 euros. Il y a aussi une mise en scène autour de ce billet qui procure une valeur à toute cette démarche. Cette vidéo de la vente aux enchères à été financée par le Palais de Tokyo et le Pavillon Blanc de la ville de Colomiers. Les trois autres vidéos ont été tournées de manière autonome et sans financements. C’était un engagement personnel de ma part, j’ai retiré un billet de 100 euros de ma propre banque. Ces trois vidéos sont filmées de manières assez fluide pour suivre mon geste et la déambulation de mon corps, tout est tourné en plan séquence sans coupures avec une par d’improvisation, de freestyle. A ce moment là, le billet de 100 euros était encore de l’argent et pas encore au stade de l’œuvre d’art. A partir du moment où le bout de coton s’est détaché du billet, l’œuvre d’art apparaît et sa lourdeur avec. J’ai du montrer ce billet de manière beaucoup plus imposante. Il fallait que dans la nature et la forme de la vidéo ce changement se voit. A partir du moment où j’ai accepté ce financement pour tourner la vidéo, le fond devait aussi correspondre. J’ai donc souhaité appuyer et montrer ce côté très télévisé où l’on ne perçoit plus le côté amateur dans le tournage de la vidéo. Cette vidéo a été réalisée avec trois caméras. Deux personnes m’aidaient et été payées et je m’occupais d’une des caméras. Tu parlais tout à l’heure de la mise en scène, c’est ce que j’ai voulu mettre en avant dans cette vidéo. Chacun avait son rôle et tout se passait dans une sorte de rapidité où aucun moment de vide n’est montré, tout s’est passé en 1 min30. J’ai fait le choix de montrer cette intensité qui remplie l’image de messages. Je souhaitais appuyer cette différence entre les deux types de vidéos dans le fond comme dans la forme. Il existe par là un avant billet de 100 euros et un après où il devient sculpture, œuvre d’art par le geste d’usure de l’artiste. Cette sculpture entre dans un autre système, le billet est alors déplacé de la rue, dans une boite transparente. C’est à partir d’un geste simple qui n’est pas courant dans la rue, sortir son billet de sa poche pour le montrer à tout le monde, que les questionnements se forment. Qu’est ce que veut dire cette action ?
LB : Il y a aussi un élément différent que l’on peut distinguer entre tes vidéos dans la rue et celle de la vente aux enchères. Tu te mets en scène, toi et ton corps dans les rues dans un premier temps. Puis dans la deuxième vidéo, c’est le billet qui est mis en scène, on ne t’aperçoit presque plus, tu n’es plus au centre de toutes les attentions.
QY : Ce n’est qu’une anecdote, c’est vrai mais on me voit quand même dans la vidéo de la vente aux enchères, dans la dernière scène. J’étais en train de filmer. On ne me voit pas mais on entend parler de moi sans arrêt. C’est une sorte de présence mais toute en étant absente dans l’image. Tout est fait lors de cette vente pour me mettre en valeur et ma présence se fait par l’absence. Dans la rue on ne me considère pas comme artiste, personne ne sait qui je suis ni ce que fait là et le billet n’est pas encore un billet d’art. Mais dans un autre cadre tout se justifie, le billet est alors mis sous verre, je suis alors annoncée comme une jeune artiste talentueuse. Tout se déplace, tous les éléments sont en jeu. Le fait de mettre se billet à la vente à quelque chose de naïf mais c’est aussi une action ironique, c’est pour rire ! Les gens sont perturbés en voyant ce billet de 100 euros, vendu 450 euros, c’est complètement délirant ! Cette vente est pour moi une interprétation même de la vente.
LB : Qui a finalement acheté ce billet ?
QY : C’est Monsieur Didier Web qui était d’accord pour que son nom apparaisse sur le cartel du billet qui était présentée au Palais de Tokyo. On peut lire, « acquis par M. Didier Web ». Le cartel devient le dernier élément temporel du travail sur ce billet de 100 euros. L’annonce de cette vente a aussi fait partie du processus artistique. J’étais obligée de me détacher de cet objet pour terminer le processus de ce projet. Je privilégie le processus à l’objet physique du billet qui était devenu une sorte d’objet fétiche que je ne voulais plus lâcher. C’est pour cela que les vidéos peuvent fonctionner sans l’objet et la sculpture sans les vidéos. Mais ils fonctionnent aussi très bien ensemble dans une complémentarité. Cet objet du billet ne m’appartient plus. Désormais.
LB : Tu considères-tu comme une exploratrice de la réalité ? Tu te places aujourd’hui au carrefour de deux cultures que tu connais et que tu explores encore. Tu es entre-deux idéologies, ton indépendance artistique se déploie dans tes vidéos. Tu sembles à la recherche de constantes nouvelles explorations de la réalité. Que penses-tu découvrir aujourd’hui ?
QY : Ce qui m’intéresse vraiment c’est les petites choses, la découverte oui, aussi. Je me vois plus en tant que personne qui aborde simplement de grandes questions contemporaines. Je me mets à distance de cette réalité mais en même temps je la teste avec mon corps. J’essaye de trouver des connexions entre cette étrangeté de la réalité et les détails qui me parlent. Je teste chaque objet qui m’intéresse, je me l’approprie en essayant de trouver des connexions entre moi et cet objet. Les grands sujets de réflexions sont trop loin pour tout le monde, j’essaye de rendre accessible mon art et ma réalité, même si je trouve ça trop grand la réalité. Pour moi il est difficile de parler à tout le monde. Je ne peux pas me contenter de parler de généralités, il faut que ça aille plus loin. Je teste les choses, les objets, les gestes et les situations. L’exploration se situe surement là. Chaque personne qui voit mon travail peut trouver une connexion avec chaque fragment de réalité que je peux présenter. Je ne pense pas réussir à explorer ou donner quelque vérité au monde que se soit.
LB : Quels sont tes projets cette année après la résidence à Paradise ? Travailles-tu sur de nouvelles pièces, résidences ? As-tu des projets de voyage ?
QY : Concernant les expositions, j’aurais une actualité au mois d’octobre pour la Biennale de la Jeune création européenne en lien avec le fait que j’étais lauréate du 59ème salon de Montrouge. Le travail des lauréats tournera et sera visible dans dix pays européens. Mais je vais surtout trouver du temps pour moi. Je pense que ça fait partie de la vie de pouvoir vivre des moments d’expériences. C’est cette matière de la vie que je souhaite expérimenter par les discussions, les rencontres où tout simplement par le fait de vivre et de profiter. Je considère la vie comme une sorte de matière, comme les voyages. J’essaye simplement de vivre, de me construire. J’ai vécu une période très intense de production ces derniers mois, de jour comme de nuit parfois et je n’ai pas pris le temps de souffler. Le fait de prendre du repos, de se promener est aussi une façon d’utiliser cette matière de la vie. C’est en vivant que l’on découvre pleins de choses. Je souhaite revenir à la source, faire le point. Il y a forcément les projets en parallèles, mais ça fait aussi partie de ma manière de travailler. Un copain m’a dit une fois que c’était bien d’être aussi un artiste qui ne fait rien ! En tant qu’artiste je ne suis pas toujours dans la création et la production mais souvent dans des phases de réflexions et de recherches. C’est vraiment le moment ou tu commences à te mettre au travail. C’est un moment ou il n’y a pas encore de recul sur la création. C’est toujours en testant que tu peux découvrir des choses, la réflexion amène la découverte mais la création amène aussi à la réflexion. Je fonctionne dans les deux sens. C’est en créant que de nouvelles questions apparaissent.

Interview de Qingmei Yao - 3 février 2015 – Galerie Paradise - Nantes, Léo Bioret

crédits: Qingmei Yao, "The trial", 2013